
Marchés. A Yaoundé, de nombreuses sociétés proposent de l’eau embouteillée à des prix de plus en plus attractifs.
Au supermarché Casino ce 11 avril 2012 à 11h30, devant le rayon des eaux minérales, Marceline a l’embarras de choix. Plusieurs marques d’eau minérale embouteillée au Cameroun sont exposées. Semme, Tangui, Supermont, Madiba, toutes des marques camerounaises, sont disponibles aux cotés des eaux minérales importées d’Europe. Même les deux hôtesses habillées aux couleurs de Tangui que la Société des eaux minérales du Cameroun, propriétaire de cette marque-là, a postées devant ce rayon ne l’incitent pas à vite faire son choix. Marceline regarde les bouteilles et scrute les prix correspondant avec minutie. Décidément, elle est dans l’embarras. Bien loin l’époque où la seule évocation de la marque Tangui au Cameroun faisait allusion l’eau minérale, se dit-elle probablement. C’est sa fille, accrochée à sa robe, qui lui doigte la bouteille de la marque Madiba. « C’est un peu plus cher », dit-elle à sa fille qui parle à peine. En effet, ici, la bouteille d’un litre et demi de Madiba coûte 350 FCfa. Finalement, elle choisira deux bouteilles de la marque Semme. « Avant, quand je voulais acheter de l’eau minérale, j’achetais Tangui. Je ne suis pas une consommatrice régulière de l’eau minérale. Mais aujourd’hui, j’ai choisi Semme parce qu’elle coûte moins cher (300 FCfa) et je veux aussi voir à quoi elle ressemble », affirme-t-elle. Marceline se félicite de la multiplicité des offres et des prix qui sont désormais accessibles. « Autrefois, on achetait une bouteille d’eau minérale à 500 FCfa, avec 300 FCfa à présent, on est servi », se félicite-t-elle.
Maurice Ngouck, jeune comptable, est également de cet avis. « Quand il y a de la concurrence, c’est le consommateur qui en profite en terme de qualité de prix. Chacun voudra séduire le consommateur », dit-il. Il affirme que, par reflexe, il achète Tangui. Surtout pour la marque, indique-t-il. A Leader Price, un autre supermarché au quartier Elig-Essono, l’on retrouve dans le rayon eaux minérales juste deux marques camerounaises : Tangui et Semme. Curieusement, un employé de la maison confie que ce ne sont pas les plus vendues. « Actuellement, c’est Supermont qui est la plus sollicitée ici. Quand un client demande une palette de Supermont, on le prend à côté où ils sont parqués en palettes. En effet, nous voulons avoir un stock suffisant avant de commencer à l’exposer dans le rayon des eaux minérales », explique un employé. Ici, une bouteille de Semme coûte 330 FCfa et 345 FCfa pour Tangui.
Grand modèle
Supermont, fabriqué par les Sources du pays, fait une percée sur le marché. Récemment, cette société a mis sur le marché les grands modèles de cinq et dix litres. Ils coutent respectivement 900 FCfa et 1350 FCfa. « Avec ces modèles, je peux bien voyager au village avec de l’eau minérale. Histoire de faire d’une pierre deux coups, car le contenant va me permettre de revenir avec du vin de palme. C’est assez pratique et moins cher », confie Jules, étudiant.
Dans les marchés et les boutiques de la ville de Yaoundé, l’on retrouve plusieurs autres marques d’eaux minérales embouteillées au Cameroun. C’est le cas de Pura ou encore de la toute récente Le Fébé, embouteillée par la société Emis. La première coûte 350 FCfa et la seconde, 300 FCfa. Belinga Atangana, expert en marketing commercial, voit en cette multiplicité d’offres un échec de la politique du gouvernement à trouver une solution aux problèmes d’eau potable. « Avec la privatisation de la société de distribution de l’eau, on a des coupures d’eau quotidiennes. Les sociétés d’embouteillage d’eau minérale ne peuvent que prospérer dans ce contexte. Ce qui est aussi une bonne chose, car au finish, c’est le consommateur qui gagne. Notamment avec des prix abordables. A 300 FCfa, c’est déjà bon, mais pas suffisant compte tenu du pouvoir d’achat des Camerounais », explique-t-il. Quand il arrive dans un supermarché, « par patriotisme », il choisit les eaux minérales embouteillées au Cameroun. « D’ailleurs, en Europe, les sols sont déjà pollués avec des substances chimiques. Or, au Cameroun, nos sols sont encore purs, c’est encore mieux de boire l’eau d’ici. En plus, elle est moins chère que celle importée », explique-t-il.
Tableau des prix à Casino à Yaoundé
Marques
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Prix 1,5l en
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Source
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Société
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Tangui
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300 FCfa
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Mont Cameroun
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Société des eaux minérale du Cameroun (Semc)
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Semme
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300 FCfa
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Mont Etinde Spring
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Société des eaux minérales du Mont Etinde (SEMME)
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Supermont
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300 FCfa
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Mont Cameroun
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Source du pays (SP)
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Madiba
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350 FCfa
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Union camerounaise des brasseries (UCB)
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Pura
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400 FCfa*
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Mont Eloumden
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Société des eaux minérales du Mont Eloumden
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Le Fébé
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400 FCfa*
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Mont Elon (Awae)
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Emif
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*Prix au marché Mfoundi
La guerre des eaux
Stratégie. La concurrence entre les entreprises productrices d’eau minérale est aussi visible à travers leur communication.
Plus que les affiches et autres messages dans la presse, l’emballage de Tangui renseigne sur la dernière innovation de la célèbre marque d’eau minérale. La célébrité, apparemment, ne suffit plus. Face à la concurrence d’une bonne demi-douzaine de produits, il a fallu mettre en avant d’autres qualités que les services commerciaux de la Société des eaux minérales du Cameroun (Semc), filiale des Brasseries du Cameroun, déroulent volontiers : « l’unique eau minérale naturelle puisée à152 m de profondeur, unique source d’eau minérale naturelle, enrichie naturellement en minéraux et dont les caractéristiques minéralogiques restent stables toute l’année, etc. »
Une communication qui, pour Jean Paul Tchomdou, publicitaire, s’imposait : «L’opinion répandue est que Tangui aurait été victime de certaines rumeurs malveillantes qui auraient nui à son image, provoquant ainsi une désaffection de certains de ses consommateurs. Quand on connaît la puissance de la rumeur dans notre pays, on peut donc dire que la marque s’est retrouvée quasiment en situation de crise. Si vous y ajoutez la progression fulgurante de Semme et l’arrivée « en fanfare » de Supermont, sans oublier les autres eaux minérales existantes, vous comprenez que Tangui se devait de réagir pour rassurer ses consommateurs et éviter ainsi l’étiolement continu de ses parts de marché».
En face, de façon plus discrète, les concurrents essayent d’exister sur le plan de la communication et du marketing. Supermont, le vieux rival, disparu un moment, a fait un retour assez remarqué et vient de réaliser un coup d’éclat avec la mise sur le marché de bouteilles de 5 et 10 litres que les consommateurs se sont arraché dans les grandes surfaces. Une affiche encore visible accompagne l’opération. «La famille s’agrandit», annonce-t-elle.
Dans la famille des eaux minérales, il y a aussi Semme, bien visible sur le marché depuis quelques années. Ses responsables la présentent comme «l’unique eau minérale qui est potable à la sortie du forage et confirmé par les organismes internationaux d’une manière objective et neutre.»
L’un des derniers nés de la famille, Pura, a également installé quelques affiches qui vantent surtout l’origine de l’eau, tirée des monts Eloumden à la périphérie de Yaoundé. Le lieu de captage de l’eau est d’ailleurs un élément qui revient régulièrement sur les produits et qui est utilisé comme élément de marketing par les opérateurs. Est-il pour autant un élément décisif pour l’achat ? Cela n’est pas aussi clair que de l’eau de roche.
Jules Romuald Nkonlak

Jean Paul Tchomdou : « La notoriété seule ne suffit pas »
Le publicitaire apprécie les stratégies de communication des producteurs d’eau minérale.
Le marché de l’eau minérale au Cameroun s’est agrandi. Le choix des consommateurs aujourd’hui dépendra-t-il des stratégies de communication mises en place par les opérateurs ?
Le choix des consommateurs dépend d’abord de leur pouvoir d’achat, de la perception qu’ils ont du produit et enfin de la qualité des produits. La qualité des produits vient en dernier lieu parce qu’aujourd’hui, bien malin celui qui pourra clairement classer ces eaux minérales en fonction de leurs vertus.
Tangui a-t-il senti son leadership menacé ? La notoriété de la marque n’était-elle pas suffisante pour conforter son statut de leader ?
Dans un contexte de rude concurrence et dans un environnement caractérisé par l’étroitesse du marché, la notoriété seule ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’une image de marque dynamique et innovante. Cela faisait plusieurs décennies que Tangui dominait presque naturellement le marché camerounais des eaux minérales, du fait de la disparition de Supermont. Le consommateur n’a pas perçu une évolution majeure tant au niveau du produit, de son design que de sa communication. Cette marque n’a pas beaucoup profité de son quasi monopole pour asseoir profondément et durablement son leadership. D’autre part, le consommateur camerounais est très versatile et infidèle. Autant il a ses habitudes, autant il aime la nouveauté. Surtout quand cette nouveauté est accessible à un prix préférentiel. Au vu de tout ceci, la montée en puissance de Semme et l’arrivée tonitruante de Supermont ne pouvaient qu’ébranler le leadership de Tangui, qui, à mon avis, a su réagir.
Supermont a mis sur le marché des bouteilles de 5 et 10 litres, or Semme et les autres sont un peu plus discrets. Est-ce une question de stratégie ou plutôt une absence de moyens financiers ?
La discrétion n’est pas une stratégie. Même les marques du luxe, qui se cachaient derrière l’assertion « le luxe ne fait pas de bruit », ont changé d’avis. Le premier défi d’une marque aujourd’hui est d’exister, de se faire voir et surtout de se différencier au milieu de milliers d’autres marques. Il faut donc avoir une prise de parole quasi permanente pour espérer rester dans l’esprit et le cerveau des consommateurs. Pour en revenir aux marques citées, elles ne sont pas si discrètes que cela. L’une d’entre elles, Supermont notamment, n’a pas manqué de réagir à l’offensive de Tangui avec son slogan « Supermont, la vraie eau minérale ». Une réplique qui annonce que la bataille est loin d’être terminée, la guerre des eaux minérales ne fait que commencer.
Propos recueillis par J.R.N.
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