
Le chef de la délégation de l’Union européenne au Cameroun s’exprime sur le traité d’échange en négociation qui, d’après Médecins sans frontières, aurait pour conséquence le renchérissement des prix des génériques au Cameroun.
Médecins sans frontières (Msf) met l’accent sur l’exclusivité des données qui obligerait les groupes de fabricants de génériques indiens désirant reproduire un médicament à mener de nouveau des essais cliniques, ce qui rendrait ces génériques plus chers. Pourquoi l’Union européenne campe-t-elle sur cette clause que rejette l’Inde ?
Cette question me donne l’opportunité de rappeler que dans le traité d’échange entre l’Union européenne (Ue) et l’Inde, il n’est absolument pas question de réduire la flexibilité existante sur la reproduction des génériques. Au contraire, l’Ue a proposé l’interdiction d’une clause visant à assurer que rien dans l’accord ne limiterait le droit d’une des parties dans la production et l’exportation des médicaments essentiels à la santé publique. C’est tout à fait conforme aux accords de l’Omc. Ces inquiétudes me paraissent donc infondées.
Voulez-vous ainsi dire que les entreprises indiennes ne seront pas obligées de mener de nouvelles recherches et d’autres essais cliniques?
Non. Les accords entre l’Inde et l’Union européenne ne prévoient aucune clause modifiant la situation actuelle. L’Inde est non seulement libre, mais aussi encouragée à poursuivre sa politique en matière de fabrication des génériques. [L’Inde est le premier producteur de médicaments génériques au monde, l’Afrique importe 80% de ses médicaments de ce pays, ndlr]
Quels sont les termes de cet accord ?
L’Union européenne est un acteur dans la scène mondiale et défend par principe le multilatéralisme. Dans ce cadre-là, dans les discussions de commerce multilatéral de Doha, l’Union européenne a mis la pression pour qu’un accord multilatéral puisse être négocié. Malheureusement, il y a des obstacles. Tous les pays ne sont pas mûrs. L’accord n’a pas encore été signé. Actuellement, l’Union européenne négocie des accords bilatéraux. Un grand accord bilatéral a été signé avec la Corée du Sud, mais aussi avec la Colombie et le Pérou. Avec l’Inde et d’autres pays, les accords sont en discussion, à un stade très avancé. Ici, en Afrique, il y a des accords de partenariat économique qui sont en train d’être négociés, mais qui ne sont pas de la même nature. Dans les accords avec l’Afrique, l’Union européenne tient compte de la dimension développement. Ce sont des accords asymétriques, dans lesquels il n’y a pas une libéralisation à 100% des deux côtés. Mais, une libéralisation limitée avec de longues périodes transitoires d’une vingtaine d’années, tandis que, dans un pays comme l’Inde, l’accord est distant et symétrique.
L’un des freins de l’accord avec l’Inde serait l’exigence par l’Union européenne d’un droit sur la propriété intellectuelle d’une durée de 20 ans sur les médicaments, alors que l’Inde propose 10 ans. La société civile camerounaise s’en inquiète, car elle estime qu’avec cette disposition, le traitement des maladies comme le Vih-Sida ou la tuberculose coûtera encore plus cher…
Vous me permettez de rappeler que cela n’a absolument rien à voir avec l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde. C’est une question qui a trait aux aspects de droit de la propriété intellectuelle et du commerce, qui valent pour l’Ue, pour le Japon, pour les Etats-Unis et pour tout le monde. On parle là de droit à la propriété intellectuelle.
L’autre pierre d’achoppement c’est l’interdiction aux entreprises indiennes d’apporter des améliorations aux médicaments génériques qu’elle fabrique. Pourquoi l’Ue ne cède-t-elle pas sur cette question ?
Non, l’Ue ne change rien à la production des génériques. Au contraire, L’Ue est l’initiatrice de la Déclaration de Doha. L’Ue aurait pu aller au-delà de la période de protection de 20 ans de la propriété intellectuelle. C’est possible dans les accords, mais elle ne l’a pas fait. Sur les droits d’exclusivité, elle ne l’a pas fait, non plus. Pourtant, la Déclaration de Doha permet d’utiliser toutes les flexibilités, pour favoriser la fabrication des génériques sans l’accord du bénéficiaire du brevet. Ceci afin de tenir compte des pays pauvres qui n’ont pas la possibilité de produire les médicaments. C’est une initiative de l’Ue.
Que répondez-vous au gouvernement indien qui indique que l’Inde n’a pas les moyens d’investir dans la recherche et les essais cliniques avant de produire des génériques, ce qui rendrait les produits finis plus coûteux?
Malheureusement, l’Ue ne peut pas résoudre à elle seule tous les problèmes du gouvernement indien. L’Inde est une puissance. Avec plus d’un milliard d’habitants, elle a des possibilités. Elle fait des progrès extraordinaires. Je compte sur le gouvernement indien pour être compétitif en matière de recherche pharmaceutique comme il l’a fait pour l’informatique.
Quels avantages cet accord bilatéral entre l’Ue et l’Inde présente-il pour l’Afrique ?
L’Afrique est un continent très important pour l’Ue. Une priorité absolue. L’Ue soutient beaucoup les politiques de développement. Notre organisation est le premier partenaire non seulement du Cameroun, mais partout de l’Afrique et du monde. C’est le premier contributeur en matière d’aide publique au développement. Dans ce cadre-là, elle privilégie les solutions multilatérales. Les négociations entre l’Ue et l’Inde s’inscrivent dans le cadre bilatéral, certes. L’on peut se demander : « Que peut bénéficier l’Afrique ? » On pourrait aussi répondre : « D’une amélioration du commerce mondial ». D’une manière trilatérale, cela peut bénéficier certainement à l’Afrique. Je dirais, rien d’original en rappelant que le commerce est une source de développement.
Je ne cerne pas véritablement ce que le Cameroun gagnerait dans cet accord….
C’est un accord bilatéral. Ce n’est pas un accord avec votre pays. Permettez-moi de vous le rappeler. Le bénéfice de votre pays serait indirect.
Cela concerne notre pays parce que le Cameroun importe la majorité de ses médicaments de l’Inde. Pouvez-vous garantir aux Camerounais qu’à l’issue de cette négociation, les médicaments génériques qu’ils utilisent pour se soigner ne coûteront pas plus cher qu’aujourd’hui ?
Je vous garantis que cet accord ne change absolument rien à la situation actuelle et à venir des médicaments génériques au Cameroun. Au contraire, il y a même des clauses qui visent à s’assurer que rien n’empêchera à chacune des parties de limiter l’exportation des médicaments essentiels à la santé publique. Je suis très confiant et, croyez-moi, la santé publique, la lutte contre le Vih-Sida, sont nos priorités. Je vous rappelle que l’Ue est le premier contributeur mondial au fonds global du Vih-Sida. Donc, c’est une priorité absolue pour l’Ue.
A vous entendre, tout va bien. Pourquoi ces accords avec l’Inde ne sont donc pas encore signés ?
Ce sont des accords qui sont d’une grande complexité. Ce sont de nombreuses années de négociations. L’accord signé l’an dernier entre l’Ue et la Corée du Sud a pris de nombreuses années de négociations. Avec l’Inde, nous sommes proches de la fin. Mais, ce sont des accords complexes. Vous vous focalisez sur les aspects des médicaments génériques, c’est légitime, c’est une préoccupation.
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