Lutte contre la pauvreté : le Cameroun change de stratégie
C’est l’ambition du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce) présenté vendredi dernier par le ministre en charge de la Planification.
Un pays émergent, démocratique et uni dans sa diversité. Voilà résumée la vision du Cameroun à l’horizon 2035, élaborée par le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire. Elle est contenue dans le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce) présenté vendredi dernier, 20 novembre 2009, par Louis Paul Motazé, chef dudit département. Un autre instrument de développement qui vient remplacer le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) adopté en avril 2003.
A travers le Dsce, le Minepat ambitionne, à l’horizon 2035, de « réduire la pauvreté à un niveau acceptable, de devenir un pays à revenu intermédiaire, d’atteindre le stade de nouveaux pays industrialisé, de renforcer l’unité nationale et de consolider le processus démocratique ».
Pour les dix premières années (2010-2020), le Dsce veut porter la croissance à 5,5% en moyenne annuelle, de ramener le sous-emploi de 75,8% à 50% en 2020 avec la création de dizaines de milliers d’emplois formels par an et de ramener le taux de pauvreté monétaire de 39,9% en 2007 à 28,7% en 2020.
A la question de savoir quelle différence il y a entre le Dsrp et le Dsce, Louis Paul Motazé répond que « le Dsrp se différencie du Dsce par son intégration dans une perspective globale de développement à long terme ». « Nous nous sommes rendus compte, au cours du processus d’élaboration du Dsce, qu’il était difficile de décliner des politiques sectorielles et spatiales de développement sans définir au préalable une vision globale, prospective et cohérente à long terme du développement au Cameroun », explique Louis Paul Motazé.
Pour lui, le Dsce, qui a nécessité la formulation de la vision du développement du Cameroun à l’horizon 2035, constitue désormais le document de référence et le cadre de concertation pour la mobilisation des partenariats dans la mise en œuvre de la stratégie de développement du pays. Le Dsce a été élaboré pendant près de deux ans par 200 experts camerounais à travers une méthode participative. 6 000 Camerounais ont été consultés pour l’élaboration du Dsce.
Louis Paul Motazé
« La réponse appropriée à l’immense défi que le Cameroun se doit de relever »
Extraits du discours du ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire le 20 novembre 2009.
A la question du chef de l’Etat, à savoir «Quel Cameroun voulons-nous pour nos enfants ? », nous avons proposé comme réponse : « un Cameroun émergent, démocratique et uni dans sa diversité ! ». Cette réponse, contenue dans le document baptisé « Cameroun Vision 2035 » a été débattue publiquement et adopté de manière consensuelle après divers amendements en mars dernier, puis validée par les plus hautes autorités de l’Etat. (…)
Ce document constitue la stratégie nationale de développement du Cameroun pour la prochaine décennie. Il se veut la réponse appropriée que le gouvernement entend apporter pendant la période 2010-2020 à l’immense défi que le Cameroun se doit de relever, à savoir celui d’une économie structurellement désarticulée et secoué simultanément par une crise de productivité globale et une crise de financement chronique (…).
Le Dsce accorde une place importante au développement humain en général et à la promotion des questions de genre en particulier. Comme document de stratégie devant déboucher sur des résultats concrets, le Dsce prend également en compte l’approche de la gestion axée sur les résultats que le gouvernement promeut à travers le programme de promotion de la gestion axée sur les résultats (Promagar) (…).
Olivier Nkounga : « 2010 n’était pas l’année indiquée pour le lancement du Dsce »
Pour le coordonnateur de la Commission macroéconomique du collectif d’Ong Dynamique citoyenne, le projet de loi de 2010 n’intègre pas les priorités du Dsce.
Vous avez participé à l’élaboration du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce). Ce nouvel instrument de développement répond-il aux attentes des Camerounais ?
La société civile a suffisamment été consultée au cours de l’élaboration du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce). Nous avions été associés et 75% des recommandations de la société civile, auquel appartient la Dynamique citoyenne, ont été prises en compte dans le Dsce. Pour une fois, nos préoccupations ont été intégrées par le gouvernement.
Quelles sont les réserves ou les appréhensions de Dynamique citoyenne face au Dsce ?
La dernière proposition que nous avons suggérée au gouvernement était de différer la date d’application du Dsce de 2010 en 2011. Ceci pour la simple raison que pour nous, il semble illusoire de croire que ce document puisse effectivement être pris en compte par les différents départements ministériels dans l’élaboration de leur enveloppe budgétaire de 2010. Car le projet de budget de 2010 a été élaboré sans que le Dsce ne soit encore disponible. On se demande sur quelles bases les ministères ont élaboré leur budget s’ils devaient intégrer les priorités contenues dans le Dsce pour l’année 2010. Nous nous posons la question de savoir si les grands projets annoncés pour 2010 dans le Dsce pourront effectivement voir le jour. Pour nous, 2010 n’était pas l’année indiquée pour le lancement du Dsce.
Quelle différence établissez-vous entre le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (Dsce) et le Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (Dsrp) ?
Nous avons également participé à la modification de l’appellation de cet instrument de développement. Le Dsrp était un peu péjoratif. Au moment où tout le monde parlait de croissance, comment pouvait-on être en train d’imaginer que la pauvreté était notre réel problème ? Or, nous pensons que pour être suffisamment productifs, il faudrait plutôt envisager la croissance et non la réduction de la pauvreté. En plus, quand vous parcourez le Dsce, vous vous rendez compte qu’il y a un certain nombre d’innovations. Il y a moins de théorie. Ce qui n’était pas le cas avec le Dsrp, élaboré avec précipitation. C’était un peu du copier-coller. C’était le modèle importé qu’on était en train de recoller, parce qu’il y avait des engagements avec les partenaires étrangers qu’il fallait respecter. Cette fois-ci, nous avons pris un peu plus de temps. Le Dsce est plus proche de la réalité camerounaise que le Dsrp, calqué sur un modèle importé. Car c’était un peu la mode en ce moment-là. Il fallait avoir un Dsrp et il y avait eu une précipitation.
Thierry Mertens, coordonateur du système des Nations Unies au Cameroun : « Intégrer les changements climatiques »
Les questions liées au changement climatique constituent une thématique cruciale. Pour Barack Obama, ce sont les pays qui intègrent les changements climatiques dans leur planification du développement qui bénéficieront d’un soutien économique. Il est important d’y intégrer les changements climatiques pour réussir à devenir un pays industrialisé. Chacun de nous a un rôle important à jouer pour devenir un pays industrialisé et cela nécessite un partenariat solide entre le gouvernement, la société civile, les partenaires au développement, le secteur privé, la diaspora. Les Nations unies s’engagent à soutenir le gouvernement camerounais.
Mary Barton Dock, représentante du groupe de la Banque mondiale au Ca
meroun « L’amélioration du climat des affaires est une priorité »
En dehors des projets structurants, il y a des choses essentielles qui vont déterminer la croissance du Cameroun. Il s’agit de l’amélioration du climat des affaires, la lutte contre la corruption et de l’amélioration du taux d’investissement public. L’amélioration de l’accès à l’éducation, à l’eau et à la santé demeurent des préoccupations importantes.
Amadou Vamoulké, directeur générale de la Crtv
« Accompagner le Dsce d’une communication gouvernementale stratégique »
Est-ce que le citoyen lambda va partager cette
vision ? (…) Personne ne peut être contre la mise en cohérence de ce qui a été présenté ici (le Dsce, ndlr). Ne faudrait-il pas enrober cette vision d’une communication gouvernementale stratégique ? Non pas par l’intermédiaire des ministres qui s’adressent devant des téléspectateurs, mais par l’interpellation de chaque citoyen par des slogans, des panneaux publicitaires, etc. En quelque sorte une communication globale, permanente et systémique.
Les objectifs du gouvernement en terme d’infrastructures (Extraits du Dsce)
Convaincu du rôle moteur des infrastructures dans la facilitation des échanges et la promotion d’une croissance forte et durable par la compétitivité que leur bonne qualité génère, le gouvernement entend investir massivement dans les infrastructures au cours de la période de mise en œuvre de la stratégie.
Energie
A travers la réalisation des programmes d’entretien, de réhabilitation et de développement de la capacité énergétique du pays, le Cameroun compte successivement résorber définitivement le déficit structurel, accompagner les besoins énergétiques pour l’atteinte des objectifs de croissance escomptés, devenir un exportateur d’électricité et contribuer ainsi à l’équilibre de la balance commerciale du pays. Il s’agira à l’horizon 2020 de porter les capacités de production du pays à 3 000 MW. Le programme d’aménagement dans le sous-secteur énergétique contient des actions de court, moyen et long termes, correspondant aux objectifs spécifiques précédemment déclinés. Parmi les actions de court terme, on peut citer notamment le barrage de Lom Pangar, la centrale thermique de Yassa et la centrale à gaz de Kribi. A moyen terme, sont envisagés le barrage de Memve’ele, les centrales de Nachtigal, Song Mbengue, Warak, Colomines et Ndockayo. A long terme, il est envisagé le développement de plusieurs sites présentant un potentiel à l’exportation d’énergie. Le coût global de ce programme décennal se chiffre à près de 5 853 milliards de francs CFA pour les ouvrages de production et de transport d’électricité par grands réseaux et 663 milliards de francs CFA pour le programme d’électrification rurale.
Bâtiment et Travaux Publics
Dans le sous-secteur routier, les orientations stratégiques à moyen et long termes du Gouvernement à l’horizon de la stratégie sont cohérentes avec le scénario ambitieux du Plan Directeur Routier et la stratégie sectorielle élaborés. Les opérations d’entretien routier vont permettre, à l’horizon de la stratégie, d’améliorer nettement le niveau de service (55% du réseau en bon état), grâce à la mise en place d’une stratégie pertinente d’intervention. La réhabilitation du réseau routier (2000 km de routes bitumées à réhabiliter d’ici 2020), ainsi que l’intensification du bitumage des routes en terre (plus de 3500 km à l’horizon 2020) viendront compléter ce dispositif. Les priorités d’intervention concerneront l’accompagnement des grands pro|ets industriels et agro-pastoraux, les corridors régionaux (transafricaine, corridors nord-sud, réseau CEMAC), le réseau des routes nationales, ainsi que les grands projets d’infrastructure d’accompagnement au secteur privé (second pont sur le Wouri, boucle autoroutière Yaoundé-Douala-Bafoussam-Yaoundé). Des réformes institutionnelles importantes devront accompagner cette stratégie. Ainsi, un accent particulier devra être mis sur : (i) la responsabilisation et le renforcement de la maîtrise d’ouvrage routier (ii) le renforcement de la planification et de la programmation à travers l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie d’intervention qui privilégie le respect des standards de travaux au détriment des opérations de saupoudrage, (iii) le renforcement du parc d’engins de génie civil, (iv) l’organisation du secteur privé afin de disposer d’un tissu d’entreprises et de bureaux d’études performants, (v) la recherche de matériaux ou de procédés susceptibles d’accentuer la pérennité des interventions, en entretien routier notamment et, (vi) le recours à chaque fois que possible, à des techniques à haute intensité de main d’œuvre (HIMO) pour réduire les coûts et promouvoir l’emploi.
Transports
Le système des transports devra se fonder sur les atouts indéniables du pays afin de contribuer efficacement à la croissance économique et à la lutte contre la pauvreté. Une approche multimodale sera systématiquement privilégiée, afin de bâtir à moindre coût un réseau de transport intégré, performant, quadrillant tout l’espace national et résolument ouvert vers les pays voisins. Le Gouvernement mettra l’accent sur l’aménagement de nouvelles infrastructures portuaires et ferroviaires qui accompagneront les projets prioritaires porteurs de croissance. Il s’agira principalement de i) la construction d’un port en eau profonde à Kribi ; ii) la construction du port en eau profonde à Limbe ; iii) la construction du Yard pétrolier de Limbe ; et iv) l’aménagement de nouvelles voies ferrées (plus 1000 km) selon les standards internationaux.
Technologies de l’Information et de la Communication
Les objectifs stratégiques du domaine des Télécommunications/TIC à l’horizon 2020 seront notamment de : (i) porter la télé densité fixe à 45% et la télé densité mobile à 65% ; (ii) doter 40 000 villages de moyens de télécommunications modernes ; (iii) mettre à la disposition du public une offre d’accès à 2 Mb/s dans toutes les villes ayant un central numérique ; et (iv) multiplier par 50 le nombre d’emplois directs et indirects.
Postes et services financiers postaux
Dans ce domaine, la stratégie permettra d’organiser et de rendre significative à l’horizon 2020 l’offre publique et privée de service postal de manière à satisfaire pleinement la demande en quantité et en qualité à des prix abordables. Deux programmes doivent ainsi être menés à terme : (!) densifier le réseau et améliorer la couverture nationale postale en vue d’assurer un équilibrage géographique des services postaux, (iî) développer le service universel postal à l’effet de favoriser l’accès de tous aux services postaux.
Infrastructures de développement urbain et de l’habitat
Le défi dans ce domaine est de créer un espace économique national intégré. Il s’agit non seulement de maîtriser le développement des villes (taux d’urbanisation de 57,3% en 2020) et d’en faire des centres de production et de consommation nécessaires à l’essor du secteur industriel, mais également de promouvoir l’émergence des agglomérations périphériques, le développement des villes moyennes ou secondaires capables de structurer les activités économiques dans l’espace urbain et de concourir au développement des zones rurales environnantes. Pour atteindre ces objectifs, six stratégies ont été identifiées s (i) l’entretien et la réhabilitation des infrastructures urbaines, (H) le développement des infrastructures urbaines (construction de 150 km de voiries et construction de 17000 logements sociaux), (iiij l’amélioration de l’accès aux services urbains de base, (iv) la maîtrise de l’occupation du sol, (v) la protection des groupes sociaux vulnérables et, (vi) le renforcement des capacités institutionnelles du secteur.
Eau et assainissement
L’accès à l’eau potable et aux infrastructures d’assainissement de base en milieu rural est limité. Le Gouvernement entend par conséquent, améliorer cette situation, porter à 75% en 2020 le taux d’accès à l’eau potable et pour cela : (i) réhabiliter les infrastructures existantes réalisées dans leur très grande majorité depuis plus de 20 ans ; (ii) réaliser des extensions des réseaux existants qui n’ont pas suivi le rythme d’expansion urbain et démographiques ; (iii) favoriser la réalisation des programmes des branchements à grande échelle. En milieu urbain, l’option retenue par le Gouvernement, notamment dans la lettre de politique d’hydraulique urbaine d’avril 2007 est le partenariat public — privé et la création de deux entités chargées respectivement des infrastructures et de la distribution. En milieu rural, la politique d’approvisionnement a pour principaux objectifs : (!) une meilleure planification des ouvrages en répondant à la demande, augmentant la couverture des services et évitant les incohérences ; (ii) une pérennisation des investissements réalisés en améliorant l’entretien, sécurisant le financement et prévoyant le financement du renouvellement et, (iii) une moindre dépendance vis-à-vis de l’Etat afin d’asseoir le développement du secteur sur toutes les forces disponibles.
Gestion domaniale
Dans la perspective de l’émergence du Cameroun, les autorités entendent élaborer une stratégie nationale de gestion du patrimoine foncier national avec un regard spécifique sur le patrimoine administré ou géré par l’Etat. Le DSCE a pour ambition de juguler les causes ayant entravé la gestion rationnelle dudit patrimoine par la détermination des objectifs globaux ci-après : i)lever la contrainte foncière pour faciliter le développement des infrastructures et améliorer le climat des affaires; Ii) rationaliser l’allocation des ressources foncières et améliorer la gouvernance du patrimoine de l’Etat ; iii) renforcer les capacités des administrations en charge des domaines, des affaires foncières et du patrimoine de l’Etat ; et iii) faciliter l’intégration régionale et soutenir la mise en œuvre de la décentralisation.
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