L’histoire secrète du Messager
Elvis Tangwa Sa’a, Alias Samako Minmenkem : «Je peux dire que je suis de ceux qui ont contribué à fabriquer Pius Njawé »
L’ancien directeur de la communication du Cameroun, a assisté de près au départ et avec un air critique par la suite, à la création et à l’évolution des œuvres de Pius Njawé.
Quel est l’état d’esprit qui vous anime au moment où vous apprenez le décès de Pius Njawé ?
C’est un sentiment de profonde tristesse parce que Pius Njawé était mon fils au plan spirituel. Deuxièmement, nous avions épousé pratiquement des cousines. Son épouse Jane qui est morte également à la suite d’un accident et pour laquelle il a créé l’association de lutte contre les accidents de la circulation était du même village que mon épouse à moi. Nous avions eu des relations personnelles très très profondes. Je suis réellement et véritablement triste. Je ne sais quoi dire.
Dans quelles conditions assistez-vous à la naissance du Messager et à l’engagement de Pius Njawé ?
J’arrive à Bafoussam en décembre 1979 pour lancer les programmes spéciaux de ce qui à l’époque s’appelait Radio Bafoussam, qui est devenu la station régionale de l’Ouest, à la veille du démarrage du congrès de l’Unc que Ahidjo avait baptisé le congrès de la maturité. A mon arrivée je vais rendre visite à mon frère et ami d’enfance Kamgang Jacques qui était chef du centre de presse. Il me présente Pius Njawé, très jeune et tout enthousiaste, en me disant que c’est un jeune homme qui a en projet de créer un Journal, et je dis à Jacques : «Nous on a été à l’école pour apprendre la connaissance, pourquoi on ne pourrait pas la partager ? Je connais donc Njawé physiquement depuis 1979. Son projet m’enthousiasme, et je l’ai soutenu dès le tout début. L’esprit pour lequel je l’ai soutenu était pluriel. Je lui ai d’abord dit : ‘’Mon fils, l’histoire des journalistes qui écrivent des papiers s’en vont montrer aux gens pour dire voici ce que j’ai écrit sur toi. Si tu achètes je changes l’orientation, est une catastrophe. Si tu veux aller loin dans la presse, il faut éviter de faire ce journalisme de mercenariat. Je lui ai dit ensuite, qu’un journal n’est pas fait pour gagner de l’argent. Un journal est fait pour configurer les esprits, pour vendre un rêve. L’argent vient lorsque des annonceurs notamment sont intéressés par le rêve et te financent l’impression. C’est derrière le projet de société qu’il y a l’argent. Je lui dis par ailleurs, que dans le monde médiatique camerounais actuel, il n’y a pas de véritable discours alternatif. Les sociétés humaines avancent par contradictions acceptées et surmontées. La parole unique n’a jamais fécondé l’imagination et la créativité. Il faut être capable de tenir un discours alternatif pour améliorer la qualité de la gestion sociale. Si c’est pour dire que le chef de l’État a fait ceci ou cela, tu n’aides même pas ce chef d’État. En cheminant avec lui, j’ai constaté et apprécié le fait que Njawé était un homme qui apprenait en pratiquant. Nous avons fabriqué Pius comme on le fait dans notre tradition Bamiléké. Lorsque nous fabriquons un chef traditionnel, notre prière est de fabriquer un Grand Fuo (Roi), pour que si l’histoire daigne se souvenir de nous, qu’elle retienne que nous avons sculpté un bel ouvrage. Je peux donc dire que j’ai contribué à fabriquer Njawé. Mon frère le prince Sob Molapi et moi sommes allés à Babouantou chez le grand-père maternel de Njawé pour l’élever à la dignité de Sob Wetathi. Sob (Sob, ou Souop) signifie celui qui poignarde le gibier ou l’ennemi à la guerre. Quand tu tues une panthère, tu la déposes aux pieds de Fuo (ou Fo, c’est-à-dire le Roi) et ce dernier t’élève à la dignité de Sobgwi. Le titre de Sob est réservé aux princes et à tous ceux qui tue la panthère. Si en tant que notable, je contribue à fabriquer des rois, pourquoi ne contribuerai-je pas à fabriquer un ROI DE LA PRESSE ? La seule condition est de lui foutre la paix une fois qu’on l’a adoubé. Fabriquer un tel roi, c’est donc lui donner les éléments de devenir ce qu’il est et d’être un jour le témoignage de ceux qui dans l’ombre et la discrétion, ont contribué à prendre la décision. Bien qu’en cette année 79-80 je n’étais pas encore le successeur de mon père, il n’en demeure moins pas vrai que dans ma famille, on a le culte de ces valeurs de service public, d’utilité publique, de ne pas poser des actes en contradiction avec les bonnes valeurs constructives.
C’est peut être pour cela que le combattant, l’acteur engagé qui a été mis en avant sur sa qualité et son travail de journaliste ?
Je suis un fils d’upéciste, et en réalité le plus grand projet de l’Upc, a été de montrer aux colons, aux maîtres, que l’esclave que tu vois là, il est capable de raison, il est capable de penser, de réfléchir comme d’autres personnes. Si on a combattu l’Upc avec autant de cruauté et d’acharnement, c’est parce que ses armes étaient des armes intellectuelles, des armes pour un réveil intellectuel, pour dire aux gens : Vous pouvez penser par vous-même, vous pouvez dire non par vos propres mots, et je pense que c’est cet esprit qui doit demeurer, parce que tous ceux qui dirigent, ont besoin que dans la société, il y ait quelqu’un qui attire leur attention, qui tire la sonnette d’alarme. Heureusement pour nous dans la tradition, la fonction de contradicteur est une fonction respectée. On sait qui a le droit de dire non à une décision du Fuo (chef) qui pourrait nuire au peuple, et c’est d’ailleurs parce qu’il le sait que le Fuo bien initié ne prendra jamais de décision sans s’entourer de toutes les précisions nécessaires, sans procéder à toutes les consultations appropriées. Donc l’idée absolument bâtarde et mentalement attardée de considérer que ne pas être d’accord avec quelqu’un c’est être voué au poteau, ça c’est une approche moyenâgeuse. Elle ne correspond pas à la tradition africaine qui est une tradition de liberté, de contrepouvoir, de démocratie, et qui fait que nos royautés étaient des royautés démocratiques. C’est d’ailleurs un peu ce que nous essayons de défendre, et que Pius a bien défendu toute sa vie. Il était un journaliste et un homme aussi.
Un avis, un conseil, un message à transmettre à ceux qui vont hériter des œuvres entamées par Pius Njawé.
Lorsqu’on a mené un combat comme celui de Njawé qui a abouti à cette institution qui est aujourd’hui Le Messager, la disparition de Pius, constitue un drame. Il me semble que pour aller au bout de ce drame, il faut manifestement changer un tout petit peu l’exercice du pouvoir. Autant en tant que père fondateur Pius avait un pouvoir de type charismatique, autant ceux qui se chargeront de maintenir la flamme gagneraient à se donner un mode de fonctionnement technocratique basé sur des procédures, des outils, des normes, des données universellement connues, pour fructifier le capital qui existe et qui ne demande qu’a être fructifié. L’homme avait ses qualités et ses défauts, mais le seul capital charismatique de Njawé n’existe plus. Pour l’exemple moderne, je prends le cas de Bill Gates qui a pris du recul et sollicité une autre personne qu’il a placée à la direction de Microsoft; Bill Gates a dit certes j’ai lancé cette énorme machine, mais je ne peux pas le gérer. C’est un autre combat qu’il faut mener pour la survie de cette œuvre. Il est important que dans la vie quelque soit les critères, qu’il y ait des porteurs de contradiction. Il est dommage qu’en Afrique, la contradiction soit considérée comme un crime. Souvenons-nous que lorsque Jean-Paul Sartre est descendu dans les rues en mai 1968 avec les enfants, le général De Gaulle a pris sa plume pour écrire à Sartre, et son premier mot était : «Mon cher Maître», parce que Sartre, c’était un maître. Ne considérons pas la parole alternative comme un crime. La parole alternative est indispensable pour enrichir la société. Et il est indispensable de faciliter cet exercice.
Propos recueillis par
Honoré Feukouo, Le Jour
Jacques Kamgang alias Kamoja le prince : «Nous avons pris fait et cause pour Paul Biya contre Ahmadou Ahidjo»
L’ancien directeur de la communication publique au Mincom et ancien collaborateur au Messager, il revient sur le parcours du journal de Pius Njawe.
C’est hier matin en suivant Canal 2 international que j’ai appris la nouvelle du décès de Pius Njawe aux Etats-unis. ça été pour moi un véritable choc. Personne n’aurait imaginé, malgré toutes les épreuves qu’il avait traversées, que la mort puisse le surprendre de si tôt.
En 1978, quand je suis nommé à Douala comme chef de centre de presse pour le Littoral du ministère de l’information, Pius Njawe est pigiste au journal La gazette d’Abodel Karimou. Pius Njawe passe de temps en temps discuter avec moi du métier. Quand il conçoit son projet de création d’un journal à Bafoussam, il vient m’en parler et je l’encourage. Aidé par Edouard Kingué et Lucien Kameni, il lance Le Messager, le 17 novembre 1979. L’expérience de Bafoussam s’arrête pour deux raisons. Il s’agit d’un reportage sur un match de foot-ball à Foumbot, où il décriait l’arbitrage. Il a ensuite fait un reportage sur la prostitution dans le Noun, et à cette époque, la responsable de la Condition féminine dans le Noun était l’épouse du préfet du même département. Celui-ci a porté plainte contre Pius Njawe et a mis des gendarmes aux trousses de ce dernier. Face à la pression des gendarmes, il décide de retourner à Douala. Le messager cesse de paraitre. Entre temps, Edouard Kingué lance le journal La vision et Lucien Kameni crée L’opinion.
Quelque temps après, le président Ahmadou Ahidjo démissionne du pouvoir. Le conflit entre lui et son successeur Paul Biya éclate au grand jour. Un concours de circonstances fait que Elvis Tangwa Sa’a, cadre du ministère de l’Information, vient d’être nommé chef de station de radio Littoral à Douala. Lui et moi, nous sommes très proches depuis l’Esijy. Il se trouve confronté à un problème dans ses services et je lui propose de loger chez moi. C’est ainsi que chaque soir après le travail, nous discutons de la situation politique du Cameroun. Nous prenons faits et cause pour Paul Biya dans le conflit qui l’oppose à Ahmadou Ahidjo. Mais comme nous ne pouvons pas nous afficher parce que nous travaillons pour l’Etat, je lui suggère de voir Pius Njawe, qui a un titre et revient de Bafoussam où son journal paraissait. Je rencontre également le grand frère Jean Baptiste Sipa, qui travaillait au Combattant, et il accepte de participer à notre projet. Pius Njawe ne trouve aucun inconvénient à ce que nous reprenions son titre. C’est à ce moment que nous lançons Le messager politique qui a pour principal objectif de mener un combat idéologique. Je prends le pseudo de Kamoja le prince et Elvis Tangwa Sa’a prend celui de Sa’a Makeu Minmenken. Nous nous mettons d’accord pour lancer Le messager politique pour soutenir Paul Biya contre Ahidjo. Nous serons rejoints dans notre combat quelques années plus tard par Célestin Lingo, qui revient de Côte d’Ivoire et travaille à Cameroon tribune. Il se fera appeler Daniel Rim. On travaillait dans un réduit qui était le siège d’un graveur de cachet au lieu dit Douala bar à Akwa. C’est après notre travail que nous nous retrouvions pour rédiger Le messager et on le faisait à quatre : moi, Pius Njawe, Célestin Lingo et Elvis Tangwa Sa’a, mais les gens pensaient que nous étions plus nombreux.
Nous travaillons sans problème, jusqu’à ce que je sois affecté à Bafoussam. Je garde néanmoins mes relations avec le journal où je continue à collaborer. C’est à cette période que le régime Biya observe ses premières dérives. Je suis ensuite affecté à Ngaoundéré. Nous sommes au début des années de braise. Pius Njawe fait déja face à une pression énorme du régime en place et décide s’exiler au Togo. Il me confie le journal. Je partais tous les vendredis de Ngaoundéré pour boucler le journal et je retournais le dimanche soir. Quand le journal était bouclé, j’envoyais les morasses à Njawe, avec la somme de 175 000 Fcfa. Il produisait également depuis le Togo le Messager africain, l’édition internationale du Messager. La police va ensuite s’en mêler. Henri Bandolo, alors ministre de l’Information et de la Culture, reçoit des commissaires de police qui lui font savoir que ce sont des fonctionnaires qui animent Le Messager. Nous sommes informés de la situation et surtout du fait que la police est à nos trousses. Un jour, alors que je suis à Douala, le vigile du Messager de cette époque est arrêté et séquestré, ainsi qu’un vendeur de journaux en face du siège de la Sonel. La pression de la police était vraiment forte. Nous délocalisons le bouclage du journal dans un domicile particulier. Le lendemain, je quitte Douala avec un poste fax. Depuis Ngaoundéré, je dirige désormais le journal à partir de ce poste où je recevais des articles par fax. Entre temps, les enquêtes de la police aboutissent. Elvis Tangwa Sa’a, Célestin Lingo et moi sommes limogés des nos fonctions et services respectifs.
Quand on nous relève de nos fonctions, je décide de m’installer à Yaoundé pour travailler au Messager. Pius Njawe est déjà rentré et a repris la direction du journal. Je partais de Yaoundé toutes les semaines pour mes contributions dans le journal. Mais je suis déçu quand Pius Njawe commence à me faire savoir que mes déplacements coûtent cher au journal. Moi qui pensais me mettre définitivement au service de ce journal, j’ai compris que je ne pouvais pas être recruté au Messager. Je me décide alors de me consacrer à la fin de ma carrière de fonctionnaire.
Aujourd’hui, je peux dire que j’ai contribué d’une manière ou d’une autre à faire de Pius Njawe ce qu’il est. Mais je crois qu’il faut lui reconnaitre le mérite d’avoir surtout été un garçon formidable, courageux et doué. Il a su exploiter de manière positive, les idées reçues de ses aînés comme Sipa, Tangwa Sa’a et moi, pour devenir l’icône qu’on lui reconnait aujourd’hui. Son décès me cause beaucoup de peine.
Propos recueillis par
Innocent B. Ngoumgang, Le Jour
Je suis surpris de constater qu’il existe une pléthore de versions dans la description de l’accident de la Lexus qui a causé la mort de Pius Njawé aux USA. Personne n’attend le rapport définitif de la police et des enquêteurs américains que certains nous disent, sans en être témoin de l’accident, comment Pius Njawé est mort. S’il est clair, au regard des recoupements que directeur du Messager est mort sur le champ après le choc, le reste va dans tous les sens. Tout cela pour créer un voile de mystère et d’histoire secrète de l’assassinat du défunt DP du Messager
et accuser des gens sans preuve.