Le président de la Commission de l’Union africaine affirme que le Nigéria, l’Afrique du sud, et le Gabon, membres du Conseil de sécurité de l’Onu, n’ont pas voté de leur propre gré pour l’intervention militaire en Libye.
Samedi dernier à Nouakchott, le comité de l’Union africaine a appelé la cessation des hostilités. Est-ce que c’est pour dire que vous êtes contre l’opération militaire internationale en Libye actuellement ?
Je crois qu’il y a beaucoup de confusion. Tout ce qu’on à fait à Nouakchott était programmé depuis le 10 mars. C’est-à-dire une semaine avant les décisions du conseil de sécurité de l’Onu. Le 10 mars, le conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine au sommet a déclaré qu’il faut rejeter une intervention extérieure et qu’il faut une cessation immédiate des hostilités internes, qu’il faut aider à l’évacuation des étrangers, y compris les travailleurs africains étrangers en Libye et qu’il faut que les aspirations du peuple libyen à la démocratie et à la liberté soient prises en compte. Vous savez que nous devions nous rendre dimanche en Libye, ensuite lundi à Bengazi. Ceci, afin de discuter avec le Conseil national de transition. Puis, le Conseil de sécurité de l’Onu a pris ses décisions le 17 mars.
A Paris, une réunion a eu lieu pour engager immédiatement les hostilités. Vous ne pouvez pas vous rendre en Libye, d’accord, vous ne voulez pas vous rendre à Bengazi, d’accord, nous allons organiser une réunion le 25 mars 2011 à Addis-Abeba où les Libyens de Tripoli et de Bengazi sont invités. Les membres du Conseil de sécurité, les membres de l’Union européenne, la Ligue arabe, etc… y seront. Donc, nous avons un calendrier clair.
A côté de cela, il y a cette opération militaire internationale. Quelle est votre position ?
La position de l’Union africaine est claire et a été exprimée le 10 mars. Ensuite, trois membres africains du Conseil de sécurité de l’Onu à savoir l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Gabon ont voté pour la résolution. En dépit du fait que la décision que nous avions prise le 10 mars, sept jours avant cette réunion, indiquait clairement que nous ne sommes pas pour une intervention militaire extérieure. Ils auraient pu s’abstenir. Lorsqu’on leur demande pourquoi, il nous explique qu’ils ont été obligés dans les circonstances des négociations et de recherche d’un consensus. Ils ont été amenés à voter Oui. Je pense même que quelques Etats parmi les trois sont en train de s’expliquer.
Vous pensez à l’Afrique du Sud et au Gabon ? Ils sont en train d’expliquer que finalement ils auraient préféré voter non ou s’abstenir, c’est çà ?
Ils expliquent très bien qu’ils ont voté, mais dans le sens de compréhension de la décision de l’Union africaine.
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que le 17 mars, en votant pour cette résolution de l’Onu, ces trois pays africains ont engagé l’Union africaine en faveur de cette intervention militaire. C’est cela ?
Vous savez, nous n’allons pas nous opposer à une décision prise par la communauté internationale. Nous avons marqué nos réserves. La réunion de Paris par exemple, aucun Africain n’était présent. La Ligue arabe était présente, mais l’Union africaine n’était pas là. Lorsque l’Union européenne et les autres préparaient la résolution de l’Onu et son application, personne n’est venu nous voir. (…)Même le ministre Alain Juppé est allé au Caire, personne n’est venu nous voir.
C’est aussi un peu pour çà que vous êtes resté à Nouakchott et que vous n’êtes pas venu à Paris le 19 mars ?
En partie, parce qu’à Nouakchott, nous avions un programme en cours et on nous dit interrompez votre programme, venez à Paris. Pour quoi faire ? Je ne sais pas très bien.
Vous ne vouliez pas faire de la figuration…
Je pense que notre frère Amr Moussa (secrétaire général Ligue arabe, Ndlr) était là pour le déjeuner et la photo, c’est tout.
Vous vous êtes dit Jean Ping ne va pas faire la figuration….
Exactement.
Sur le front, ce que disent les populations civiles de Bengazi, c’est que s’il n’y avait pas eu les frappes aériennes de la coalition samedi soir dernier sur l’armée libyenne, eh bien, la ville de Bengazi aurait été reprise par l’armée libyenne et qu’il y aurait eu un bain de sang…
Ecoutez, je crois qu’ils ont certaines interprétations qui sont sans doute justes, je ne peux pas me prononcer la dessus. Mais, la différence qu’il y avait entre les événements en Libye, en Egypte et en Tunisie, c’est qu’en Egypte la révolution des jasmins était une révolution pacifique. Personne n’est allé avec les chars aux côtés des jeunes révolutionnaires. En Libye, c’était des forces militaires. De chaque côté, il y avait des armements lourds, des chars. Donc, cela s’apparentait beaucoup plus à une guerre civile. C’était la partition du pays, la somalisation du pays.
Est-ce que cette intervention internationale militaire en Libye peut faire avancer une solution ou au contraire retarder la solution?
Je crois que c’est la raison pour laquelle je suis là. Vous avez remarqué avant votre arrivée que j’étais en train de m’entretenir avec un envoyé spécial, Madame Ashton (Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, ndlr). Je me suis entretenu avec Alain Juppé (ministre français des Affaires étrangères, ndlr) et le secrétaire général de l’Onu (Ban Ki Moon, ndlr) pour savoir quels sont les objectifs qu’ils ont visés et quelle est la phase suivante. Si l’étape suivante consiste à utiliser la diplomatie, c’est la voie que nous préconisons et nous y sommes déjà.
Donc, votre priorité aujourd’hui c’est de réunir autour d’une table les partisans et les adversaires de Kadhafi, c’est cela ?
Cela a toujours été le plan de départ. Je vous le réaffirme, cela a été décidé le 10 mars par les chefs d’Etats. Nous ne sommes pas sortis de ce calendrier fixé par les chefs d’Etats.
Alors ce que disent les adversaires de Kadhafi au Conseil national de transition, c’est qu’il n’y a rien à négocier avec ce monsieur qui est un menteur et qui refuse toute négociation. Est-ce que ce n’est pas un problème ?
Vous savez, nous nous parlons avec eux, nous savons qu’ils ont accepté de nous recevoir tout comme Kadhafi et les autorités de Tripoli. Donc, c’est à partir de là que les choses vont s’engager.
Vous prônez donc une solution politique. Cela veut-il dire que vous souhaitez que le colonel Khadafi reste au pouvoir ?
Non. Nous souhaitons une chose : c’est qu’on réponde aux aspirations du peuple libyen à la démocratie, à la liberté et à l’Etat de droit. Et pour y arriver, nous pensons qu’il faut engager une négociation. Mais, n’allez surtout pas imaginer que nous voulons que les choses restent en l’état. Ce n’est pas possible.
Le Conseil national de transition dit que jamais le colonel Kadhafi n’acceptera le verdict des urnes…
Oui, beaucoup de gens le disent. Des pays africains vont même plus loin. Qu’il n’acceptera rien du tout. C’est tout à fait possible. Et c’est ce que nous cherchons à voir.
Et c’est pour cela que vous voulez parler avec lui ?
Exactement.
Et ce sommet du 25 mars c’est demain (aujourd’hui, ndlr), ce sera nécessairement reporté, est ce que vous avez une autre date indicative ?
Pourquoi voulez-vous qu’il soit reporté ? La partie libyenne a accepté il y a trois jours l’intégralité de ce que je viens de vous dire. Pas seulement le cessez-le-feu, mais aussi le paragraphe 4 quant à la légitimité des aspirations du peuple libyen à la démocratie, à la réforme politique et à la sécurité.
Vous dites que le camp du colonel Kadhafi a accepté de participer à cette réunion d’Addis- Abeba, mais en revanche vous n’avez pas encore la confirmation du Conseil national de transition de Bengazi…
Nous attendons l’acceptation formelle des gens de Bengazi pour venir à Addis-Abeba. S’ils ne viennent pas, nous allons proposer de les rencontrer soit à Bengazi, soit au Caire, soit à Tunis. Comme je vous l’ai dit dès mon entrée en fonction, je ne suis ni pour la précipitation, ni pour la diplomatie du mégaphone.
Propos recueillis par Christophe Boisbouvier sur Rfi (le 24 mars 2011) et retranscrits par Beaugas-Orain Djoyum
La résolution 1973 de l’Onu
Le Conseil de sécurité (…) autorise les États membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires, nonobstant le paragraphe 9 de la résolution 1970 (2011), pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen, et prie les États Membres concernés d’informer immédiatement le Secrétaire général des mesures qu’ils auront prises en vertu des pouvoirs qu’ils tirent du présent paragraphe et qui seront immédiatement portées à l’attention du Conseil de sécurité; (…)
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