C’est un appel qui vous fait trembler. « Le directeur de la rédaction t’appelle ! ». Même mon camarade de promotion qui me l’indique est un peu contrarié. Ne tremblez surtout pas ! C’était en juillet 2006. J’étais jeune stagiaire à la Direction de la rédaction de Cameroon Tribune (Drct). Ce jour-là, dans CT se trouvait mon premier article jamais paru dans un journal tiré en plusieurs milliers d’exemplaires. Quelques minutes avant cet appel, je lisais et relisais cet article. J’étais parmi les premiers à arriver à la rédaction ce matin-là afin d’obtenir un exemplaire de l’édition du jour. La sensation de joie qu’éprouve chaque journaliste stagiaire à la lecture de son premier article est intense.
Mais cet appel, près de trente minutes après la conférence de rédaction à laquelle n’assistaient pas journalistes et stagiaires, m’a fait perdre tout sentiment de fierté. Avais-je écrit une bêtise ? Mon article, relu et corrigé par Alain Tchakounté et Yves Atanga, respectivement chef de bureau et chef de service de la rubrique Société, avait-il été critiqué en conférence de rédaction ? Mille et une questions fourmillaient dans mon esprit. Après une semaine à la rédaction, les journalistes que je côtoyais alors étaient Raphaël Mvogo, Alain Tchackounté, Alliance Nyobia et Yves Atanga. Quand le directeur de la rédaction, Abui Mama, vous appelle… Comme dans un film, je revoyais défiler à grande vitesse dans ma tête son attitude (ses deux coudes posés sur la table et ses mains qui expliquaient), son petit sourire et ses conseils le jour de la présentation de la bande de stagiaires de l’Esstic à la conférence de rédaction. Le conseil le plus important, déjà gravé dans ma mémoire, me revenait au galop : «Faites-vous remarquer !». M’étais-je fait remarquer négativement ? Mon cœur s’était arrêté.
Attention aux lecteurs !
Dès l’entrée dans son bureau, Abui Mama me demanda de prendre place. C’était bon signe. Son bureau parfaitement rangé indiquait l’attention qu’il accordait à la précision. Comme s’il savait que j’avais arrêté de respirer, le directeur de la rédaction me dit : « j’ai lu ton article et le sujet est intéressant». Je pouvais alors mieux respirer. Mais, je n’étais pour autant pas serein. En réalité, j’attendais le «mais…tu n’as pas fait ceci ou encore tu aurais dû fairecela» qui ne venait pas. Je ne me souviens plus de ses mots d’encouragement suivants. Il avait sans doute compris ce qui se passait en moi. Pour détendre l’atmosphère, Abui Mama me demanda comment j’avais eu l’info. L’histoire du passager d’un car tué par un camion alors qu’il penchait sa tête hors du véhicule. « Il meurt seul dans un accident », avais-je titré. Je racontai alors, avec plus ou moins d’enthousiasme, comment j’avais obtenu cette information pour rédiger ma petite histoire.
Mais, j’attendais encore sa critique qu’il n’avait pas encore faite. Enfin, comme il l’avait sans doute planifié, elle arriva ! Abui Mama me demanda de faire attention aux sous-entendus et à la concordance des temps. Pour lui, le fonctionnaire, l’intellectuel, l’étudiant, l’élève ou encore le vendeur à la sauvette ne lisent pas un article de la même façon. Chaque lecteur, m’expliqua-t-il, lit les articles d’un journal donné à sa manière. «Il faut tenir compte de tout ceux-là », conseilla-t-il. En lisant mon titre, certains lecteurs concluraient que l’auteur de l’article avait souhaité qu’il y ait plusieurs morts.
Des remarques que j’ai appréciées. Je lui ai tout de suite marqué mon étonnement tout en le remerciant. Sa réponse : «Nous sommes aussi là pour encadrer les plus jeunes». Je suis sorti de son bureau, propulsé par «Va de l’avant !». Aujourd’hui encore, après la triste réalité, j’ai l’impression que le Drct nous appelle tous. Cette fois-ci, à accorder plus d’attention à ce que nous faisons quotidiennement et à prendre soin des autres. La vie, dit le psychologue Brian Tracy, est comme une serrure à combinaison. Notre travail, pense Tracy, consiste à trouver les bons chiffres dans le bon ordre. C’est ce à quoi s’attelait Abui Mama, qui aidait par ailleurs les autres à parvenir à réaliser cette tâche.
On oublie les beaux jours !
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