L’ancien dg de Camair Co revient sur les circonstances qui l’ont amené à démissionner.
Sur son contrat de travail
« Informé du décret présidentiel, j’ai pris mon billet d’avion pour venir sur place faire un état des lieux dès le début du mois de janvier. Madame B.T. et son principal associé m’accompagnèrent naturellement : leur groupe avait une convention de gestion de cette nouvelle compagnie aérienne. Ce sont eux qui devaient me proposer un contrat de travail que j’attendais encore. Il faut faire confiance à son futur employeur et savoir attendre que la parole donnée soit respectée.
A Yaoundé, nous avons été convoqués par l’un et l’autre des ministères concernés. Ensemble, nous avons fait la connaissance des responsables de l’Etat concernés par le projet qui allait se développer.
Au ministère des Finances, j’ai ressenti une impression désagréable : après les présentations d’usage, dans une ambiance froide, le ministre a demandé aux représentants du groupe américain où étaient les investissements de leur part. Puis la séance fut close ».
Sur la pression du Conseil d’administration
« Inquiet de ne plus me voir à sa botte dans un hôtel à Yaoundé, le directeur du conseil d’administration m’enjoignit de rentrer à Yaoundé sous prétexte d’une installation officielle dans mes fonctions par le ministre des Transports (celui-là même qui avait fait disparaître la dernière page de la convention de gestion). J’ai donc acheté à mes frais un aller-retour pour la capitale camerounaise. Je me suis installé à l’hôtel et j’ai attendu que l’on me convoque le jour prévu. J’avais été informé par des sources parallèles que ce ministre était absent de la ville, je ne fus donc pas surpris de n’être appelé par personne. Il en fut de même le lendemain. Le troisième jour, au milieu de la matinée, je reçus finalement une nouvelle convocation pour me rendre chez le président du conseil d’administration pour midi précise.
Une nouvelle fois, accompagné des trois membres de son conseil, il me reçut seul. Dans la salle où je venais d’attendre en présence de ces trois membres, l’un d’entre eux, en me pointant du doigt, s’était montré agressif et menaçant à mon égard : je devais me tenir à carreaux et suivre strictement les instructions qu’ils me donneraient. Poli et habitué à un sang froid qui permet de surpasser les situations hostiles, j’avais attendu qu’il vide son sac. Je devais savoir tout ce qu’il avait sur le cœur. L’occasion de mieux connaître son ressentiment à mon égard ne devait pas être gâchée.
Au début de cette réunion le président s’était d’abord montré calme, poli et bien disposé. Mais, il ne pouvait pas se forcer longtemps à cacher ses désirs. A sa demande j’ai tenté de lui expliquer que pour démarrer une compagnie aérienne, il fallait en premier s’assurer que l’on disposerait des avions les plus avantageux. J’ai tenté de lui expliquer ce qu’étaient les critères économiques et financiers qui devaient guider ma démarche.
Mais déjà, il ne m’écoutait plus, il avait décroché sur ces aspects trop techniques pour lui. Une seule chose l’intéressait : m’adjoindre des personnes de son bord, ouvrir un compte au nom de la compagnie, me dicter mon travail. Encore une fois, il fallait un éternel chronogramme (comme si tout pouvait être chronologiquement prévu à l’avance) ; peu importaient les avions à venir. Il fallait que je refasse le business plan qu’il n’avait sans doute pas compris, il fallait que j’établisse un budget (sans avoir identifié le type ni le nombre d’avions à mettre en place).
Cette conversation stérile commençait à s’éterniser. Après deux heures irréelles, j’ai décidé de ne plus tenter de leur expliquer ce qu’ils ne voulaient pas entendre. Nous étions jeudi et ils voulaient les résultats pour le lundi suivant, ce qui prouvait un peu plus leur totale incompétence. J’ai repoussé ce rendez-vous inutile au jeudi suivant, cela me donnerait le temps de la réflexion.
Ma décision était déjà prise lorsque j’ai enfin quitté ce ministère. Je rentrerai ce soir même à Toulouse. J’attendrai jeudi matin pour annuler le rendez-vous de l’après-midi : ces gens là ne méritaient pas plus de considération. Ce délai fut mis à profit pour obtenir plus de détails sur le fonctionnement de l’ancienne CAMAIR : j’ai découvert que les anciens dirigeants avaient loué leurs derniers avions à un tarif plus de deux fois supérieur au prix du marché. Ceci m’a ouvert les yeux sur le niveau de corruption auquel s’étaient accoutumés les gestionnaires successifs. D’autres informations corroboraient largement mes suppositions ».
Sur sa visite à la Primature et sa démission
« Je ne voulais pas abandonner sur un coup de tête les Camerounais qui comptaient sur moi pour voir revivre leur fierté nationale. J’attendais un signe qui ne venait pas. Au contraire, le dispositif mis en place pour briser ma volonté anti-corruption se précisait. Cette fois-ci j’étais convoqué chez le secrétaire d’état auprès du Premier ministre pour rendre des comptes.
C’était un comble : sans salaire, j’avais payé tous mes voyages, j’avais payé tous mes séjours à l’hôtel, je ne disposais d’aucun bureau provisoire, je ne disposais que de mon ordinateur personnel et je payais mes communications et il me fallait rendre compte auprès de l’autorité locale de mon insoumission à ce conseil d’administration transformé pour l’occasion en conseil de surveillance. Il m’avait demandé où je logeais, où je me déplaçais au jour le jour, il ne souhaitait pas que je rencontre mes interlocuteurs commerciaux sans être accompagné par l’un ou l’autre d’entre eux.
Le matin du jour de la réunion avec ce dernier secrétaire d’état, sans doute intéressé lui aussi à conserver des revenus occultes, j’ai transmis ma lettre de démission au ministre de l’Economie chargé du projet Camair Co. Ce dernier s’était engagé à me rembourser mon dernier billet d’avion et ma dernière note de frais d’hôtel, il a tenu sa parole. Je lui en suis reconnaissant.
Un émissaire du Premier ministre avait été chargé de me renouveler sa confiance totale et son estime. Cela ne pouvait pas modifier mon opinion sur les possibilités de travail au sein de ces ministères.
Madame B.T. pouvait renégocier sa convention camerounaise, cette fois je ne serai plus impliqué. D’autres pays voisins plus pauvres que le Cameroun peuvent compter sur mon aide, je suis libre ».
Propos recueillis par e-mail par B-O.D. Publié dans Le Jour le 30 mars 2010
Alex Van Elk
« La politique intervient partout. Donc, il faut être intelligent »
Le directeur général de la Camair Co se dit déterminé à lancer la compagnie aérienne nationale dans un an au maximum.
(…) C’est facile en Europe. Les situations difficiles se trouvent plutôt en Afrique. Il y a des difficultés énormes. Je vous le dis. Je suis dans ce domaine depuis une trentaine d’années. Construire en Afrique, c’est dur. Il y a de telles difficultés que si vous n’êtes pas un travailleur, vous ne pouvez pas venir. Vous savez aussi que la politique intervient partout. Donc, il faut être intelligent. Tout cela pour dire que ce ne sont pas toujours les médiocres qui viennent en Afrique et je ne pense pas être un. Si je voulais la facilité, je resterais en Europe où tout est simple.
(…) Je comprends l’impatience des Camerounais. Ils doivent aussi comprendre que pour qu’ils aient une grande compagnie aérienne, il faut prendre du temps. J’en appelle à leur patience. Il faut une équipe managériale compétente. Encore une fois, je crois que dans une année, la compagnie décollera.
(…) Je n’accepterai pas commette de faute. Je ne voudrais même pas penser à cela. Je repense plutôt à mon parcours élogieux au Nigeria et au Gabon. J’ai été engagé par le président de la République et c’est une très grande responsabilité. Mes idées ne sont pas constituées d’erreurs. Impossible de penser à cela. (…)
Source : Le Scorpion d’Afrique, n°023 du 03 mai 2010
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