L’ingénieur financier commente la décision prise par le ministre des Finances de « suspendre » l’octroi des Per diem aux fonctionnaires à l’issue des séminaires.
La circulaire du ministre des Finances portant instructions relatives à l’exécution et au contrôle de l’exécution du budget de l’Etat et des organismes subventionnés indique que le paiement des « per diem » est proscrit dans le cadre des séminaires et colloques. Elle indique par ailleurs que le paiement des « per diem » pour l’accomplissement des tâches régulières du personnel demeure suspendu jusqu’à nouvel ordre. Que pensez-vous de ces mesures ?
Dans l’optique de la qualité des dépenses publiques et du bon emploi des ressources de l’Etat, proscrire le paiement systématique et direct des per diem aux salariés de l’Etat qui participent à des séminaires et des colloques me semble être une mesure normale. Par contre, si le séminaire ou le colloque se déroule hors du domicile du personnel, il doit être régulièrement mis en mission avec prise en charge appropriée. Le principe des indemnités pour les cadres-experts et contributeurs doit être distingué des per diem.
Mais, dans le même temps, la circulaire prévoit que les dépenses liées à l’organisation des séminaires, conférences et colloques y compris les per diem des participants doivent être prises en compte par le prestataire. Ce qui veut dire que les per diem ne disparaissent pas. Et vous n’avez pas surtout mis en avant le fait que le paiement des per diem ou des indemnités dans le cadre des comités, secrétariats techniques et assimilés reste clairement autorisé. Or, dans la réalité, ce dernier poste est un canal de gaspillage ou du mauvais emploi des fonds publics car la majorité des membres de la plupart des comités et assimilés sont généralement rémunérés sans un travail effectif et utile pour l’Etat. Seuls quelques membres travaillent réellement, et la majorité joue aux « passagers clandestins » qui ne démarchent leur désignation que pour les per diem.
En 2010, la Chambre des comptes doutait de la sincérité des comptes présentés par le gouvernement. Elle reprochait notamment le fait que de nombreux déblocages des fonds publics à la paierie générale du trésor étaient effectués sans émargement. Entre 2004 et 2005 par exemple, 32,19 milliards de francs Cfa avaient été débloqués sans émargements. Pensez-vous que les mesures prises dans la récente circulaire du ministre sont de nature à éviter ce genre de dérives ?
Les dérives que vous mentionner surviennent généralement du fait de la volonté délibérée de certains acteurs corrompus qui décident pour diverses raisons contraire à l’intérêt général de transgresser les procédures budgétaires en vigueur. Ce n’est donc pas la circulaire qui peut empêcher de telles dérives. Ce sont les contrôles effectifs et les sanctions fermes et conséquentes. Par contre, l’ampleur de telles dérives affectent négativement la régularité, la sincérité et l’image fidèle des comptes publics. C’est dans ce contexte que les comptes publics des exercices 2005, 2006 et 2007 n’ont pas été certifiés par la Chambre des Comptes. Cette décision de la Chambre a été un très mauvais résultat pour les comptables et financiers de l’Etat.
Parlant de la sincérité et de la régularité des comptes publics camerounais, il y a un problème critique qui concerne l’application du principe comptable de séparation des exercices budgétaires. Ce principe veut dire que les produits et les charges ou les recettes et les dépenses d’un exercice sont exclusivement et exhaustivement constatés et enregistrés dans les comptes de celui-ci. Il ne doit pas avoir de chevauchement non maîtrisé entre les exercices budgétaires. Ce principe de séparation des exercices n’est pas respecté à l’heure actuelle.
En prenant l’exemple de l’exercice 2010, une bonne partie des dépenses de l’Etat dont les prestations ont déjà été réalisées par les fournisseurs ne vont pas figurer pas dans les comptes publics de 2010. La circulaire le confirme au point 5 en spécifiant que les dépenses relatives aux prestations réellement exécutés en 2010 mais non ordonnancées donnent lieu à des nouveaux engagements effectués en priorité sur les crédits de l’exercice 2011. Ces dépenses peuvent atteindre des montants représentant plusieurs dizaines de milliards de FCFA. Ces dépenses sont déjà en réalité des impayés de l’exercice 2010 devant apparaître comme une composante clairement vérifiable de la dette intérieure en 2011. Ce transfert en masse de dépenses d’un exercice à l’autre dénature radicalement et profondément la régularité, la sincérité des comptes publics camerounais. En se fondant seulement sur ce point, la Chambre des Comptes de la Cour Suprême ne devrait pas certifier les comptes de l’Etat pour l’exercice 2010.
La circulaire du ministre indique qu’à l’occasion des congés des personnels des missions diplomatiques et consulaires ou des déplacements des agents publics à l’extérieur du pays, des billets d’avions de la compagnie nationale leur sont servis sur les lignes desservies directement ou indirectement par celle-ci. Cette mesure ne va-t-elle pas asphyxier financièrement la future Camair-Co quand on sait que les factures des fournisseurs de l’Etat ont toujours du mal à être payées ?
Cette mesure en elle-même est un soutien important pour la nouvelle compagnie aérienne dans la mesure où elle obtient un marché réservé en quelque sorte venant de son actionnaire et promoteur, l’Etat du Cameroun. Le problème de délai de paiement des prestations de Camair-Co est plus global et concerne tous les prestataires et fournisseurs de l’Etat y compris les autres compagnies aériennes.
Contrairement autres Etats modernes et leurs démembrements qui déterminent clairement leurs délais de paiement pour contribuer à la fluidité des transactions et au bon fonctionnement de leurs économies, les délais de paiement de l’Etat du Cameroun ne sont ni légiférés ni réglementés. L’Etat camerounais se retrouve en train d’exercer une répression financière totalement inacceptable (crédit imposé et sans intérêt) sur la majorité de ses fournisseurs et prestataires en leur imposant des délais de paiement ou crédits fournisseurs pouvant aller jusqu’à un ou deux ans voir plus alors que la moyenne internationale tend vers un délai 60 jours après l’exécution de la prestation. C’est ainsi que, dans le budget 2011, les « restes à payer » figurent dans la dette intérieure pour 100 milliards de FCFA. Mais en fait le montant des impayés accumulés par l’Etat est beaucoup plus important que cette prévision budgétaire. Le non respect du principe de séparation des exercices crée un cafouillage impliquant la méconnaissance regrettable du volume réel des factures impayées de l’Etat à une date donnée. D’où l’urgence d’un audit indépendant pour évaluer la situation réelle des impayés et de la dette intérieure de l’Etat qui devient dans ce contexte un réel « serpent de mer ».
Il faut donc réguler les délais de paiement des factures de l’Etat…
Comme l’a révélé le débat lors de la première assemblée générale de Entreprises du Cameroun, E.CAM , le 17 février à Douala, la réglementation et la régulation des délais de paiement de l’Etat du Cameroun et ses démembrements en l’occurrence est une question centrale et urgente de la réforme de la chaîne de dépenses publiques en vue d’instaurer la transparence, l’équité et l’intégrité des finances publiques pour un meilleur fonctionnement de l’économie nationale. L’impératif et l’urgence de cette réforme des délais de paiement des dépenses de l’Etat sont d’autant catégoriques et indiscutables que du coté de la chaine des recettes de l’Etat, les délais de paiement sont très courts, stricts avec des pénalités précises et codifiés légalement en l’occurrence dans le code général des impôts et le code général des douanes.
Dans la circulaire du Minfi, autant on augmente les sources de revenue de l’Etat comme le doublement de la retenue sur le loyer, autant on impose une retenue de 5% sur les diverses rémunérations des professions libérales. Ces mesures sont-elles de nature à révolter les populations ?
Non, je ne pense pas. Sur le principe de base, la retenue de 10% sur le loyer et la nouvelle retenue de 5,5% sur diverses rémunérations constituent en fait des avances sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques et/ou sur l’impôt sur les sociétés. Au lieu d’attendre la déclaration annuelle pour percevoir l’impôt, l’Etat opte pour encaisser par avance une partie ou la totalité de cette impôt à la source c’est-à-dire entre les mains de la personne qui vous paie vos prestations. C’est un transfert de la contrainte de trésorerie de l’Etat à ces contribuables sous l’hypothèse sous-jacente qu’une majorité des personnes ciblées ne paient pas normalement leurs impôts.
Cette approche est partiellement compréhensible parce que, la plupart des personnes physiques et mêmes des sociétés qui sont domiciliées dans les mallettes, les attachés-cases et les chambres ne déclarent généralement pas leurs revenus spontanément auprès de l’administration fiscale. Pour essayer de toucher ces personnes qui sont assez nombreux, il peut être pertinent pour l’Etat de les atteindre en imposant une obligation aux organisations bénéficières des prestations pour opérer des retenues à la source à l’occasion du paiement des factures. Il revient aux prestataires de faire valoir ces avances (retenues à la source) lors de la déclaration de leurs impôts. S’ils ne déclarent pas ses impôts, alors l’acompte reste acquis par le trésor public.
Mais pour les prestataires qui paient régulièrement leurs impôts cette mesure est ressentie à juste titre comme une pression fiscale et une injustice fiscale. Car leur trésorerie disponible est réduite en faveur de l’Etat sans une quelconque contrepartie.
Quel commentaire faites-vous du fait que la taxe spéciale sur les revenus soit de 15% pour les prestataires internationaux, mais qu’elle soit ramenée à 7,5% pour les prestataires domiciliés en France ?
C’est un traitement discriminatoire qui me semble inapproprié car la réciprocité à cet égard n’est pas vérifiée et surtout est loin d’être équitable. Malgré l’existence de la convention fiscale entre le Cameroun et la France, il ne semble pas avoir de justification pertinente a priori qu’un tel taux réduit de 50% recevable. C’est une distorsion malheureuse qui nécessite d’être supprimée au plus vite.
Selon le ministre des Finances, le remboursement des frais de congés se rapportant aux périodes de jouissance antérieure au 1er janvier 2005 est traité dans le cadre de la dette publique intérieure. Quel commentaire vous suggère cette mesure ?
Cette mesure relève du même registre que les impayés accumulés du fait de non respect par l’Etat des délais de paiement des prestations et des droits acquis par son personnel. Les indemnités de congés payés dues au personnel réel et régulier de l’Etat ne devraient pas souffrir de délais de paiement aussi long et interminables. C’est typiquement de la répression financière (crédit forcé et sans intérêt) exercée par l’Etat sur ses employés dans la mesure où ces impayés, au titre des droits de congés rentrent, sans négociation préalable ou accord a priori, dans la dette intérieure tout en ne comportant aucun intérêt de retard comparable à celui que les contribuables supportent lorsqu’ils ne paient pas les impôts dans les délais prescrits. C’est une injustice sociale créée et entretenue par l’Etat lui-même. C’est toujours la question cruciale de la transparence, de l’équité et de l’intégrité de la chaine des dépenses publiques qui reste non résolue.
Quel est le regard général que vous portez sur les reformes entreprises par le ministère des Finances cette année ?
Il me semble qu’aucun des problèmes critiques de réforme et de modernisation du management des finances publiques n’a été traité. Aussi bien du coté de la chaine des dépenses que celle des recettes. Il est aussi vrai que toutes les réformes ne relèvent pas uniquement du ministère des Finances mais concernent le Gouvernement ou plus largement l’Exécutif.
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