
Le chef de l’Etat a récemment rendu publique une ordonnance qui diminue le budget du Cameroun de 2 570 000 de francs Cfa à 2 520 600 000 de francs Cfa, soit près de 50 milliards de francs de réduction. Etait-ce une surprise pour vous ?
Cette décision du président de la République, Paul Biya, n’est pas une surprise. Cette décision est très tardive et relève ainsi d’un management public de type passif, où le gouvernement subit les événements au lieu de les provoquer et de peser sur les résultats voulus. En fait, dans l’optique d’un management public proactif, le besoin d’adaptation de la loi de finances 2010 date d’avril 2010. Un projet de loi de finances rectificative s’imposait et était donc attendu lors de la session parlementaire de juin 2010 pour fiabiliser les prévisions budgétaires de l’Etat pour l’exercice 2010. Mais, en termes de portée opérationnelle, une réduction de 49 milliards de francs Cfa traduit moins un souci de diminution du budget qu’une volonté de redéploiement des allocations budgétaires dont la faisabilité, en particulier au plan de la mobilisation des ressources, reste au moins partiellement compromise. A la veille de l’adoption de la loi des finances 2010, vous avez envoyé une lettre aux députés de la nation, indiquant entre autres que « l’option d’une hausse des prévisions de dépenses publiques de 269 milliards de Fcfa va dans le bon sens ». Maintenez-vous cet avis aujourd’hui ?
C’est une explication très partielle et donc insuffisante pour justifier la révision globale du budget, compte tenu du redéploiement des ressources prévisionnelles. Avec un taux de croissance économique prévu autour de 3% en 2010, contre seulement 2% estimé en 2009, la réduction des recettes de la TVA de 33 milliards de francs Cfa à 522 milliards de francs Cfa, contre des prévisions de 537 milliards de francs Cfa en 2009, ne semble pas fonder une corrélation forte avec le ralentissement de l’activité économique. Par contre, l’ordonnance ressort une réduction plus importante des prévisions de ressources propres de 98 milliards de francs Cfa, représentant les tirages prévus sur les réserves de trésorerie de l’Etat. Cette réduction traduisant en fait la recommandation du FMI à maintenir un niveau de réserves de sécurité. A contrario, la hausse de la ligne des emprunts multilatéraux de 102,6 milliards de francs Cfa correspond à l’utilisation des droits de tirage spéciaux qui ont été alloués par le FMI en 2009. Peut-on dire que les responsables de la planification et des prévisions budgétaires ont fait fausse route dès le départ ?
Il y a deux problèmes majeurs à considérer dans l’approche budgétaire et financière de l’Etat. Premièrement, l’impact des engagements financiers latents des exercices déjà clôturés, qui n’est pas pris en compte formellement et de manière exhaustive lors de l’élaboration et l’adoption du budget. Le niveau réel des impayés latents n’est pas connu de manière fiable,d’un exercice à l’autre. Ceci découle de l’absence des conditions organisationnelles et fonctionnelles garantissant la sincérité, la régularité et l’image fidèle des comptes publics et de la situation financière de l’Etat. C’est pour cette raison intrinsèque que la Chambre des comptes de la Cour suprême a récemment refusé de certifier les comptes de l’Etat pour les exercices 2005, 2006 et 2007. L’anticipation que l’on peut faire est que la Chambre des comptes devrait avoir la même opinion pour les comptes de l’Etat pour les exercices 2008 et 2009.
Quelle conséquence cette baisse peut-elle avoir sur l’économie camerounaise ?
L’absence de l’agilité opérationnelle de l’Etat est un facteur majeur bloquant ou contraignant pour le rythme et le niveau de performance de l’économie nationale. Le niveau d’efficacité faible du fonctionnement de la chaîne des recettes d’Etat, tout comme celui des dépenses publiques, sont les canaux qui émettent des signaux brouillés et parfois décourageants pour le progrès économique et social.
Que faire pour que, dans l’avenir, il n’y ait plus d’ajustement budgétaire ?
A quatre mois de la fin de l’année, ce nouvel ajustement ne va-t-il
pas mettre les départements ministériels en difficulté ?
Je n’en sais pas grand-chose. Un mouvement de restriction des dépenses publiques en l’occurrence de fonctionnement était déjà perceptible au sein des départements ministériels depuis le premier semestre, en comparaison aux anticipations haussières qui avaient été impulsées par l’adoption en décembre 2009 d’un budget de 2 570 milliards de francs Cfa. La cadence d’autorisation des dépenses donnée par le ministre des finances trimestriellement a permis, de fait, de réduire la propension des ministres à engager les dépenses. La signature de l’ordonnance présidentielle n’est en réalité qu’une formalisation de l’attitude correctrice adoptée pour l’exécution du budget. Dans cette logique, la réalisation des dépenses, et notamment les dépenses d’investissement, devrait être assez faible, d’autant que la mobilisation des ressources découlant notamment des emprunts obligataires reste hypothétique avant mi-novembre, date d’arrêt des engagements.
Le ministère des Travaux publics est celui qui voit son budget le plus charcuté, avec une réduction de 47,3 milliards de francs Cfa. Doit-on comprendre que le gouvernement a décidé d’arrêter les projets d’investissement de ce département ministériel ?
Le budget de ce ministère a été réduit à 135 milliards de francs Cfa, c’est-à-dire à un niveau plus faible que le budget de 2008 qui était de 140 milliards de francs Cfa. Son budget d’investissement a été réduit de 27 milliards de francs Cfa contribuant à la réduction globale du budget d’investissement de l’Etat de 78 milliards de francs Cfa, c’est-à-dire de 677 milliards initialement à 599 milliards de francs Cfa. Vous pouvez bien noter que cette baisse des prévisions d’investissement public est plus importante que la baisse totale du budget de l’Etat qui n’est que de 49 milliards de francs Cfa. C’est, en fait, l’investissement qui a été sacrifié au profit du fonctionnement. Le ratio prévisionnel est passé de 26% à 23,8%. C’est vraiment grave comme décision.
Le contexte d’année électorale permet d’anticiper une possible complaisance budgétaire, en termes de marketing politique. Dans cette optique, un optimisme élevé comme principe d’action devrait alimenter un budget à la hausse ou proche du montant révisé.
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