Ancien Pdg de Coton Tchad et actuel cadre au groupe français Somdiaa, il explique pourquoi l’industrie textile en Afrique bat de l’aile.
La transformation du coton en textile en Afrique n’a pas assez été évoquée lors des journées cotonnières africaines de Yaoundé. Pourquoi l’Afrique ne crée-t-elle pas assez d’industries textiles pour transformer son coton ?
En 2003, une étude commandée par l’actuel président du Bénin, Thomas Yayi Boni,a montré que pour promouvoir l’industrie textile en Afrique, il faut subventionner le prix coton fibre vendu à la filature de 30%. Au terme d’une rencontre regroupant les producteurs, ils avaient fixé pour objectif la transformation de 25% de la production cotonnière en textile en 2003 à l’horizon 2013. Je connais bien Yayi Boni, on leur avait dit à l’époque que ce n’est pas faisable. De toutes les sociétés de textile handicapées, quelle était celle qui pouvait subventionner la filature à 30% du prix d’achat du coton graine ? Ce n’était pas viable parce que le coût de l’énergie est tellement élevé. L’industrie textile est une grande consommatrice d’énergie. Donc, sur ce point, on n’a pas un avantage comparatif. Deuxième élément qui pénalise l’industrie textile en Afrique, c’est que nos marchés sont tellement étroits et on fait des investissements de petites dimensions ; il n’y a pas d’économie d’échelle. Ce qu’il faut faire c’est créer des marchés régionaux, créer une industrie assez forte pour pouvoir vendre plus de pièces et être rentable. Il y a un seuil critique de rentabilité. Chaque pays a une ou deux unités de textiles qui se concurrencent et qui ne marchent même pas du tout. Et toutes sont en faillite trois mois après avoir démarré leurs activités.
Quand vous dites que le marché est étroit, vous oubliez qu’il y a des millions de consommateurs en Afrique et au Cameroun…
Il faut produire suffisamment pour pouvoir rentabiliser. Aujourd’hui, au Nigeria, toutes les filatures sont en train de fermer malgré l’avantage de sa devise, le naïra, parce que tout vient de la Chine. La Chine investit d’abord pour son marché intérieur d’environ 1 milliard 350 millions d’habitants. Et avec cela, elle peut conquérir le reste du monde au coût marginal.
Les importations freinent-elles également l’envol de l’industrie textile en Afrique ?
C’est le troisième élément qui tue réellement l’industrie textile en Afrique. Les importations de textile venant des pays à bas coût. Vous savez que l’accord multifibre qui donnait des quotas d’importations n’existe plus depuis le 31 décembre 2004. Chaque pays peut importer librement la quantité du textile qu’il veut là où il veut. Il y a la friperie. Si vous allez au marché de Yaoundé, de N’Djamena et de Bamako, avec 3 000 francs, vous achetez un pantalon et une chemise que vous repassez et vous êtes propre. Mais quand vous voulez acheter un bon tissu à la Cicam, il vous faut 4 000 francs pour un mètre. Combien de mètres vous en faudra-t-il pour vous habiller normalement ?
L’Afrique n’a pas l’avantage comparatif à transformer le textile. Pourquoi ? Parce que le francs Cfa est une monnaie très forte qui tue notre compétitivité. Regardez autour de nous, tous les pays qui entourent le Nigeria (Bénin, Tchad, Cameroun, Niger), aucun ne peut exporter vers le Nigeria un bien manufacturé. Ils peuvent exporter les bœufs, les produits vivriers, mais aucun produit manufacturé. Par contre, de nombreux produits manufacturés viennent du Nigeria parce que le naïra est une monnaie de compétitivité. C’est la même chose au Ghana. Les pays comme la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Togo, bref, tous les pays qui entourent le Ghana ne peuvent pas exporter vers le Ghana. C’est plutôt le contraire. Le Sénégal ne peut pas exporter vers la Gambie, qui est la petite bouche du Sénégal, parce qu’elle n’est pas compétitive. Tous les produits manufacturés produits dans les zones Cfa sont très chers et ne peuvent pas être exportés. Le franc Cfa est un handicap réel pour la compétitivité des produits manufacturés en Afrique. La filière coton en souffre aujourd’hui.
Pour vous, la parité du franc Cfa pénalise les producteurs africains plus que les subventions qu’accordent les pays riches à leurs cotonculteurs…
La parité de change nous pénalise aujourd’hui plus que les subventions cotonnières que nous dénonçons. Regardez la baisse du dollar aujourd’hui, le franc Cfa est lié à l’euro qui est une monnaie très forte. Il y a quelques années, un dollar valait 750 francs Cfa. C’est-à-dire que lorsque vous vendiez du coton à un dollar, on vous donnait 750 francs Cfa. Aujourd’hui, un dollar vaut à peine 450 francs Cfa, 442 francs en principe. Donc, avant, si vous vendiez le coton pour un million de dollars, on vous donnait 750 millions de francs Cfa. Aujourd’hui, si vous vendez pour un million de dollars, vous avez 442 millions de francs Cfa. Vous voyez ! Quand on parle de la parité, personne n’arrive à voir cela, à comprendre que c’est un problème. Et ce sont des millions de dollars que nous vendons et des milliards de francs Cfa que nous perdons.
Faut-il donc rejeter le franc Cfa pour créer davantage d’industries textiles en Afrique ?
Je pense qu’il y a quand même des éléments positifs du franc Cfa. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. En fait, les Africains veulent faire des choses en empruntant des raccourcis. Il y a le prix de l’énergie qui est élevé, le problème de l’étroitesse du marché, il n’y a pas d’économie d’échelle, on ne peut pas exporter dans d’autres pays à cause du niveau du franc Cfa qui est très fort. C’est l’ensemble de tous ces problèmes qu’il faut gérer. Même l’Europe souffre de cet euro qui est très forte. Mais à la différence du franc Cfa, 85% de leur activité commerciale se passe en zone euro. Il y a 15% de cette activité qui ne se passe pas en zone euro. C’est passable. Le deuxième avantage qu’ils tirent d’un euro fort, quand le coût du pétrole vendu en dollar augmente en 2008, c’est que cela permet de réduire l’effet inflationniste dû à l’augmentation fulgurante du coût de l’énergie. Troisième avantage, les sociétés européennes qui veulent acheter une entreprise dans la zone dollar peuvent l’acheter moins cher, ce que nous ne pouvons pas faire dans la zone franc Cfa, parce que nous n’avons pas de capacité de production.
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